jeudi 25 octobre 2012

La Liste de Gardes

Il y a une tradition à laquelle il faut bien se soumettre 4 ou 5 fois l'an, c'est celle de la liste de gardes.
Ca commence par un mail ou un mot échangé le matin au staff : "lundi on fait la liste".

Le lundi en question, curieusement, tous les médecins viennent au staff, avec leur gros calendrier cartonné ou leurs petits agendas à la main et pour l'interne qui termine la nuit il n'y a jamais de question, jamais de discussion sur le pourquoi du comment, on écoute les transmissions d'une oreille distraite. Un quart d'heure après, exit les internes qui vont commencer le tour dans les services et tous les chefs se rapprochent autour de la table.

Importance stratégique, le choix de la place : plus on est près du chef, plus on a de chance d'avoir ce qu'on veut. Sinon, faut crier fort. On fait le tour des absents, qui a laissé ses choix à qui, qui parle pour qui, et Machin est-ce que quelqu'un l'a prévenu ? (Machin est en repos chez lui, il apprend par un coup de fil sur son portable qu'on fait la liste sans lui, il fulmine).

Commence la litanie des jours. Il faut deux personnes : une pour le secteur néonat, une pour le secteur des grands. Le lundi ça n'intéresse personne (j'ai piscine, je consulte le lendemain...), le mardi en revanche, c'est la foire d'empoigne (tout le monde avec des enfants d'âge scolaire veut son repos du mercredi...) Alors ça parlemente, ça négocie ("tu as déjà eu deux mardis" "si tu me laisses celui-ci, je te laisse la semaine prochaine...")
Parfois il y a de grands blancs, et on sait pas pourquoi. "Jeudi 25, qui peut ?" Parfois on sait  (il y a un congrès, beaucoup veulent y aller...) et au final, c'est un peu toujours les mêmes qui s'y collent.
Il y a aussi ceux qui veulent beaucoup de gardes ("encore ? Mais ça t'en fait trois dans la semaine...") et ceux qui en voudraient plus mais qui étaient trop loin du chef et qui n'osent pas crier.
Il y a des jours on ne trouve qu'un volontaire et où personne ne veut faire le second. Alors le chef interpelle "Truc, tu peux ?" et là il faut expliquer devant tout le monde "Ah ben non ce jour là mon mari est en déplacement alors il rentrara tard et j'ai personne pour les enfants..." ou alors se dire qu'au final ça nous arrange pas mais qu'on n'a pas vraiment d'excuse qui tienne la route et répondre "Euh oui, s'il faut..."
Il y a ceux qui aiment la régularité, et ceux qui ont des vies tellement bizarres qu'ils enchaînent pendant dix jours pour ne plus rien faire du mois ensuite.

Ca demande d'être concentré, le choix de garde. Répond à une question de ton voisin, et une semaine est passée au cours de laquelle tu n'as rien pris. Régulièrement reviennent les "On en est où là ?" de ceux qui ont décroché. De temps en temps on pense à ceux qui sont pas là, surtout faut le dire, pour les jours où ça coince.
Des fois, c'est compliqué de s'y retrouver parce qu'on est à mardi mais que quelqu'un crie déjà qu'il le veut bien, le jeudi de cette semaine-ci, et alors plus personne ne sait qui fait quoi. Des fois, aussi, le chef a des ratés et il écrit A sur sa liste en pensant B...

Au final, des fois ça va vite, ça se goupille pas trop mal et on perd pas trop de temps. Mais le plus souvent, ça râle, ça s'engueule, on revient trois fois sur un jour qui pose souci, on fait des échanges à trois ("moi je peux faire le jeudi si quelqu'un me reprend le mercredi..."), on rature, on baisse les bras et on sort après une heure en cherchant déjà à qui on pourra refiler la garde du dimanche qui nous arrange pas...

Il faut bien commencer un jour

A dire vrai, j'ai déjà commencé il y a quelques années de cela, mais les deux-trois billets écrits alors se sont vite arrêtés, faute de temps, surtout. Puis j'ai découvert Twitter, et tout un tas d'excellents blogs tenus par des médecins, et je me suis dit "Pourquoi pas ?"

Pour brosser un tableau rapide, voilà bientôt douze ans que j'ai quitté les bancs de la fac, 7 ans que je suis diplômée, 7 ans que j'exerce dans un hôpital dit "périphérique", ni petit ni vraiment grand. Je ne suis pas dans ma région d'origine, ni dans celle où j'ai passé mon internat, j'ai atterri un peu par hasard dans ce que les instances actuelles appelleraient "un désert médical".

Je suis pédiatre, je m'occupe des enfants des autres, option "petits bébés" (néonat, quoi).

A la maison, j'ai un homme qui ronchonne pour tous les soirs et les week-ends où je ne suis pas là et où il se retrouve seul avec nos deux petits monstres de 3 ans et 18 mois.

Je suis gentille, facilement naïve, souvent bonne poire, bref un peu blonde. Dans la vie, il y a des trucs qui me plaisent, mais comme je n'ai pas de temps à y consacrer, je ne vois pas l'utilité d'en parler. Voilà déjà pour planter le décor.